Femmes sous silence : une parole confisquée entre religion, justice, colonisation et médias

Une absence de voix : c’est le résultat d’un système historique, religieux, juridique et médiatique qui conditionne les femmes à taire leur vécu. En miroir de Une si longue lettre de Mariama Bâ, cet article propose une analyse des mécanismes qui musèlent la parole féminine — intime ou publique.

Une parole sous contrôle, des voix enfermées

Dans Une si longue lettre, Mariama Bâ (1979) confie à Ramatoulaye une voix lucide mais enfermée à l’intérieur d’une lettre. Elle écrit, mais ne revendique pas publiquement. Comme elle, beaucoup de Sénégalaises parlent entre elles, à voix basse, dans l’intimité. Mais dès qu’elles osent prendre la parole dans l’espace public, elles sont disqualifiées, caricaturées ou réduites au silence.

Instrumentaliser l’islam pour faire taire

Ce contrôle repose aussi sur des interprétations conservatrices de l’Islam. Certaines écoles religieuses enseignent que la voix féminine est awra — honteuse, à dissimuler (Sonko, 2022). Pourtant, les textes fondateurs ne justifient pas une telle exclusion. L’histoire islamique, elle, compte de nombreuses figures féminines savantes, actives et écoutées. Ce n’est pas la foi qui réduit les femmes au silence, mais son usage patriarcal — une lecture sélective qui renforce des normes de genre profondément inégalitaires.

Un droit qui légitime l’effacement

Dans le roman, Ramatoulaye n’a aucun recours face à la polygamie imposée. Aujourd’hui encore, le Code de la famille sénégalais, influencé par le droit colonial et islamique, désigne l’homme comme chef de famille (Camara, 2007). Il concentre la décision, la légitimité, la parole. Et face à la justice, les femmes se heurtent à des lenteurs, des requalifications ou des refus de plainte (ONU Femmes Afrique, 2022). Parler, c’est prendre un risque — souvent inutile ou pénalisant.

Les médias : peu de place pour les voix féminines

Comme Ramatoulaye, les femmes s’expriment souvent dans des espaces périphériques : lettres, journaux intimes, récits à des proches. Dans les médias sénégalais, elles sont rarement appelées comme expertes, souvent présentées comme victimes (Sonko, 2022). Et quand elles prennent la parole, on leur demande de « supporter » (muñ), « accepter » (nangu), ou de se taire au nom de la paix sociale. Même en cas de féminicide, on parle de « drame conjugal » plutôt que de crime, centrant le récit sur l’homme et invisibilisant la victime.

Un héritage colonial profondément institutionnalisé

Sous la colonisation française, les femmes ont été exclues des institutions clés : école, justice, administration. Elles n’étaient ni formées, ni consultées, ni représentées (Rodet, 2007 ; Sonko, 2022). Ce modèle a façonné un système où seules les voix masculines étaient reconnues comme légitimes. Aujourd’hui encore, les institutions postcoloniales reproduisent ces logiques, maintenant les femmes à la marge des espaces de décision — et de parole.

Écrire pour briser l’effacement

Une si longue lettre est un cri étouffé. C’est le journal d’une femme qui pense juste, mais à huis clos. Aujourd’hui encore, beaucoup de Sénégalaises écrivent mentalement leurs lettres sans jamais les poster.

Pour ma part, je refuse de m’accommoder de ce silence. Je tiens tête, et je prends la parole pour celles qu’on n’écoute pas. Je confronte, sans détour, les figures de mon entourage — famille, amis, collègues — qui perpétuent ce modèle, consciemment ou non. Et nous devrions tous le faire. Confronter les silences complices, les traditions qui étouffent, les mots qui blessent. Celles et ceux qui excusent l’injustifiable ou protègent un système au détriment des victimes. Écrire, c’est refuser la complaisance. C’est faire du bruit là où le silence tue.

Sources :